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S'EXPRIMER LIBREMENT N'EST PAS UNE LIBERTÉ, MAIS UN DROIT

Tribune libre

David VINCENT : "Les journalistes de Charlie Hebdo ne sont pas des martyrs de la liberté d’expression"

Depuis ce midi (mercredi 7 janvier), on ne parle plus que de cela : vers 11h30, trois hommes armés ont froidement assassiné onze personnes, dont deux policiers.

Cet acte avait été méticuleusement préparé. Les auteurs savaient qui ils visaient et pourquoi. Les victimes sont plusieurs caricaturistes, et autres contributeurs, du journal Charlie Hebdo. Ce journal d’extrême gauche est notamment connu pour ses prises de position anti-religieuses. Si le christianisme est sa première cible, depuis quelques temps, les auteurs avaient aussi commencé à s’attaquer à l’islam, ce qui, comme ils ont pu le constater, est nettement plus dangereux. Leur dernier dessin était celui-là :

Charly Hebdo 01 2015

Visiblement, la provocation de trop.

Cette tuerie a profondément choqué l’opinion publique et a immédiatement déclenché une vive émotion, aussi bien au niveau national qu’international. Spontanément, de nombreux rassemblements ont eu lieu, les communiqués de presse se sont multipliés et les réseaux sociaux sont saturés par cette affaire, chacun voulant manifester son soutien aux victimes. Le nouveau slogan à la mode étant « Je suis Charlie ».

Pourtant, je ne vous cache pas que j’ai ressenti un certain malaise face à tout cela. Le drame suscite toujours une réaction émotionnelle qui occulte bien souvent notre faculté rationnelle. Ce n’est donc pas forcément le meilleur moment pour publier cet article et c’est pour cela que j’ai quelque peu hésité à le rédiger. Néanmoins, je m’y suis finalement décidé car je pense, qu’au-delà de ce fait divers tragique, des questions plus importantes peuvent être soulevées et c’est sur celles-ci que j’aimerais revenir. Deux points seront abordés : La valeur des vies humaines et la liberté d’expression.

La valeur des vies humaines

La mort est un drame

Tout d’abord rappelons que d’un point de vue chrétien, la perte d’une vie humaine, même celle de notre ennemi, est toujours un drame. Par la bouche du prophète Ezéchiel (chapitre 33 verset 11), l’Eternel déclare : « Dis-leur : je suis vivant ! dit le Seigneur, l’Eternel, ce que je désire, ce n’est pas que le méchant meure, c’est qu’il change de conduite et qu’il vive. »

Ainsi, même dans un cadre judiciaire, je suis par principe opposé à la peine de mort et je prône au contraire la justice restaurative (une invention mennonite dont j’aurai l’occasion de reparler). A plus forte raison, je suis donc opposé à toute forme de violence contre les êtres humains et je condamne, bien évidemment, avec la plus grande fermeté ces assassinats.

Toutes les vies ne se valent pas

Pour autant, je ne peux pas m’empêcher de constater une certaine injustice dans le traitement médiatique des morts. On rappelle, avec justesse, que c’est l’attentat le plus meurtrier en France depuis 1835, on en fait la une des journaux et on présente cela comme un drame national … pour au final onze morts. Onze morts de trop dira-t-on, oui je suis bien d’accord, mais en même temps qu’est-ce que onze morts à côté des milliers, des dizaines de milliers de victimes qui meurent actuellement dans l’indifférence la plus générale en Afrique, au Moyen Orient ou ailleurs ?

Je m’étais fait la même réflexion au moment de l’exécution d’un otage français par un groupe terroriste lié à l’Etat Islamique. Si la mort d’un être humain est toujours un drame, je ne peux pas m’empêcher de penser à la disproportion qui existe dans le traitement médiatique de cette affaire. Pendant plusieurs jours, on n’a parlé que de cela, alors que dans le même temps, l’Etat Islamique a exécuté plusieurs centaines de membres d’une même tribu (sunnite) sans que personne ne s’en soucie, en dehors de quelques spécialistes.

En dépit des belles déclarations théoriques, il faut bien constater que, dans la réalité, toutes les vies humaines n’ont pas la même importance.

La liberté d’expression

Une valeur fondamentale et un héritage à défendre

Le deuxième point qui me dérange est celui de la liberté l’expression. La liberté d’expression est certainement une des valeurs phares de notre République. Elle a été acquise au prix d’une lutte sanglante et doit être défendue. En France, la liberté d’expression est indissociable des philosophes des Lumières. Si en tant que chrétien je suis en désaccord avec leurs positions métaphysiques, en tant que chrétien j’approuve aussi leur combat pour la liberté sous toutes ses formes. Ne cachons pas les choses. Celui-ci a été en grande partie menée contre l’Eglise (et la monarchie, mais ce n’est pas mon sujet).

En effet, depuis plus de mille ans, l’Eglise s’était liée au pouvoir politique pour constituer un système religieux oppressif qui n’a pas hésité à mettre à mort les dissidents. Quand je dis « l’Eglise », je ne vise pas uniquement l’Eglise catholique, car les protestants, lorsqu’ils ont eu le pouvoir, n’ont pas fait mieux. Et d’une manière générale, tout en étant profondément croyant, je pense que lorsqu’une religion, quelle qu’elle soit, a eu le pouvoir, elle l’a toujours mal utilisé. Imposer des opinions religieuses par la force est certainement une des plus grandes erreurs de l’humanité. Au contraire, la foi authentique s’acquiert par une conviction personnelle et intérieure. En ce sens, le combat des philosophes des Lumières a été extrêmement profitable pour les croyants eux-mêmes.

Oui, il faut pouvoir discuter et débattre de tout. Oui, on peut critiquer intellectuellement les dogmes, les personnages et les textes d’une religion et je suis convaincu que le débat intellectuel, mené en toute honnêteté, est toujours profitable.

Du bon usage de la liberté d’expression

Mais justement, Charlie Hebdo n’est pas dans ce débat intellectuel. Charb n’était pas Voltaire et Cabu n’était pas Diderot. Charlie Hebdo c’est la vulgarité, la grossièreté, l’obscénité, le mauvais goût, la provocation gratuite, « bête et méchante ». Tout le contraire de la vraie liberté d’expression. Charlie Hebdo, c’est la liberté d’expression dévoyée, détournée et mal utilisée.

Censure et responsabilité personnelle

Que l’on soit bien d’accord. Je n’appelle à aucune forme de censure, ni de limite de la liberté d’expression par des voies étatiques. Je pense que les lois coercitives et liberticides ne sont pas une solution, aux problèmes en général, et à ce problème en particulier. Au contraire, il me semble que la solution passe avant tout par une auto-responsabilisation. En effet, le droit à la liberté d’expression ne peut être pleinement profitable que s’il est utilisé à bon escient, avec sagesse. Critiquer oui, mais à condition que cette critique soit réfléchie et intelligente.

La réplique du sage

Enfin, j’aimerais terminer en précisant un dernier point. A titre personnel, je ne suis pas choqué par les caricatures quelles qu’elles soient, y compris celles qui peuvent viser Dieu, qui est pourtant pour moi, en tant que chrétien, la personne la plus importante. Je pense en effet que ceux qui s’attaquent à Dieu et à la religion sont bien plus à plaindre que moi.

Toutefois, je comprends que des croyants, quelle que soit leur religion, puissent être choqués. Néanmoins, j’aimerais leur dire que dans ce cas, la meilleure chose à faire est tout simplement d’ignorer ces moqueries. Cela ne sert à rien de rentrer dans la polémique car celle-ci n’entrainera que du ressentiment et de la colère, et toutes ces émotions conduiront très vite la violence.

« Ne rendez à personne le mal pour le mal. Recherchez ce qui est bien devant tous les hommes. » Epître aux Romains 12:17

Conclusion

Pour conclure, je dirai que si la perte d’une vie humaine est toujours regrettable, je trouve en revanche que les réactions vis-à-vis de ce drame sont complètement disproportionnées au regard des autres tragédies qui se déroulent actuellement dans le monde.

Par ailleurs, quitte à choquer, je refuse de considérer ces caricaturistes comme des « martyrs de la liberté d’expression ». Non, les journalistes de Charlie Hebdo ne sont pas des martyrs de la liberté d’expression, juste des provocateurs imbéciles tombés sur plus bête qu’eux.

David Vincent

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