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S'EXPRIMER LIBREMENT N'EST PAS UNE LIBERTÉ, MAIS UN DROIT

Tribune libre

Comment Israël réduit ses détracteurs au silence sur les réseaux sociaux

Le gouvernement israélien a déposé une litanie de plaintes concernant des publications anti-israéliennes sur les réseaux sociaux, et a obtenu gain de cause dans la grande majorité des cas.

 Les sociétés de réseaux sociaux telles que Facebook et Twitter subissent actuellement une pression énorme afin qu’elles surveillent plus rigoureusement leurs plateformes. L’un des résultats regrettables a été une répression majeure du discours politique.

L’attaque s’est intensifiée après que les Russes ont été accusés d’ingérence dans l’élection présidentielle américaine de 2016 via des comptes Facebook et Instagram frauduleux. Le succès de la combine a dépassé les rêves les plus fous du Kremlin.

Depuis, les Américains ont vivement critiqué Facebook pour s’être laissé exploiter de la sorte. En réponse, la société a imposé des restrictions quant à l’utilisation de ses données privées par des tiers et a supprimé des centaines de pages promouvant de fausses informations.

Cependant, alors que nombre de ces changements ont renforcé la sécurité du site et de ses utilisateurs, la surveillance accrue qui en a résulté s’est répandue dans d’autres domaines, notamment le discours politique.

Rassurer les législateurs

Facebook et d’autres sites de réseaux sociaux ont également été soumis à une pression intense de la part de la droite américaine, qui se plaint du préjugé libéral dominant au sein de la Silicon Valley et de la suppression des opinions conservatrices.

En vérité, l’idéologie qui prévaut pour ces entreprises est le capitalisme : gagner de l’argent est leur principal moteur. Cela dit, les entreprises de la high-tech craignent bel et bien l’intervention du gouvernement sur leur marché, ce qui explique pourquoi leurs chefs d’entreprise se sont rendus à Washington pour rassurer les législateurs sur le fait qu’ils étaient des médiateurs impartiaux prenant au sérieux leur mission : être un forum ouvert pour tous les Américains.

Les dirigeants d’Israël considèrent les réseaux sociaux comme étant à la pointe de la communication mondiale, un espace où se joue la réputation du pays

Le gouvernement israélien et son lobby aux États-Unis sont une autre force politique majeure faisant pression sur les sites de réseaux sociaux. Israël a pris conscience de l’immense pouvoir des réseaux sociaux pour façonner une image et influer sur la perception du public.

Son gouvernement d’extrême droite a désigné le ministère des Affaires stratégiques, créé en 2006 pour Avigdor Lieberman, comme fer de lance d’une campagne internationale de lutte contre la « délégitimation », terme maladroit désignant quiconque critique Israël. L’ennemi public numéro un dans le cadre de cet effort est le mouvement BDS (Boycott, désinvestissement, sanctions), ses dirigeants et ses partisans à travers le monde.

Zuckerberg

Un graffiti représentant le fondateur de Facebook, Mark Zuckerberg, sur la barrière israélienne séparant la ville de Bethléem, en Cisjordanie, de Jérusalem, le 15 octobre 2017 (AFP)

Les dirigeants d’Israël considèrent les réseaux sociaux comme étant à la pointe de la communication mondiale, un espace où se joue la réputation du pays.

Israël a par conséquent entrepris une vaste campagne de lobbying ciblant les principaux sites et leurs PDG. Les ministres israéliens ont rencontré les dirigeants de Google et Facebook, les avertissant que s’ils ne contrôlaient pas le discours « anti-Israël » sur leurs plateformes, le gouvernement israélien interviendrait pour le faire. Facebook et d’autres sites ont consenti à bon nombre de ces demandes de censure.

Depuis le début de cette campagne, le gouvernement israélien a déposé une multitude de plaintes pour discours de haine anti-israélien, réussissant dans la grande majorité des cas à en faire supprimer le contenu. Les ministres israéliens se sont alors vantés de leur efficacité à étouffer, en substance, le discours politique.

Des pages palestiniennes fermées

Le fait de s’aplatir devant le lobby israélien a toutefois suscité un certain embarras. Des dizaines de pages Facebook appartenant à des médias palestiniens ont été fermées, tandis que d’autres ont été suspendues, provoquant des protestations. Facebook n’a publié aucune déclaration expliquant sa décision.

Les entreprises de réseaux sociaux répriment également le discours critique des utilisateurs américains sur Israël. Mon propre compte Twitter a récemment été suspendu suite à un tweet où j’accusais les médias étrangers et israéliens d’induire en erreur les lecteurs dans la couverture médiatique du meurtre d’un colon israélien par un Palestinien.

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Alors que plusieurs médias l’ont qualifié d’« activiste » pro-israélien, terme habituellement réservé aux défenseurs des droits de l’homme, Ari Fuld était en fait un colon radical lourdement armé qui rejetait l’idée même de l’existence des Palestiniens.Deux provocateurs pro-israéliens des réseaux sociaux ont organisé une attaque massive contre mon compte et de nombreux utilisateurs pro-israéliens l’ont dénoncé pour « promotion de la haine et de la violence ». Ils ont également affiché des menaces de mort, m’ont suggéré de me suicider, mis en garde contre un « passage à tabac » et exprimé le souhait qu’un terroriste de l’État islamique me poignarde à mort. Aucun de ces messages n’a été signalé ou censuré.

Un seuil incroyablement bas

L’affirmation selon laquelle mes tweets incitaient à la violence était fausse, mais les nombreuses protestations de mes followers sur Twitter n’ont pas réussi à convaincre la société de revoir sa décision. En fin de compte, Ali Abunimah, du média en ligne Electronic Intifada, s’est enquis de l’état de mon compte auprès de l’équipe presse de Twitter ; presque aussitôt, mon accès a été restauré.

Des centaines de Palestiniens ont été arrêtés en raison du contenu qu’ils ont publié sur les réseaux sociaux, malgré l’absence de normes juridiques permettant de distinguer entre véritable menace et discours politique. Les juges israéliens s’inclinent uniformément devant les preuves présentées par les forces de sécurité et le procureur général

Sur le front intérieur israélien, le Shin Bet utilise un logiciel pour analyser une grande partie du contenu des réseaux sociaux publié par les Palestiniens, recherchant les mots et expressions susceptibles d’indiquer une intention de nuire à Israël. Cependant, la manière dont l’agence d’espionnage détermine ce qu’est une menace est au cœur de ce processus – et le seuil semble incroyablement bas.

Dans un cas, un travailleur journalier palestinien a posté en arabe : « Bonjour », à côté d’une photo de son bulldozer. S’appuyant sur une traduction Facebook interprétant erronément ses propos comme voulant dire « blessez-les », la police a arrêté l’homme. Il a été libéré par la suite lorsque l’erreur a été révélée.

 

Dans un autre cas, la célèbre poétesse palestinienne Dareen Tatour a publié un poème en faveur de la résistance palestinienne contre l’occupation israélienne. Bien que rien dans son poème ne constitue une menace de violence, elle a été arrêtée et emprisonnée. Dareen Tatour n’a été libérée que le mois dernier, après trois ans de prison et d’assignation à résidence.

Des centaines de Palestiniens ont été arrêtés en raison du contenu qu’ils ont publié sur les réseaux sociaux, malgré l’absence de normes juridiques permettant de distinguer entre véritable menace et discours politique. Les juges israéliens s’inclinent uniformément devant les preuves présentées par les forces de sécurité et le procureur général.

Une dissidence non tolérée

L’agence d’espionnage israélienne se targue publiquement du nombre de complots terroristes qu’elle a déjoués. Toutefois, faute de preuves concrètes, le public israélien n’a aucun moyen de juger de la crédibilité de ces affirmations. Les Israéliens sont juste censés croire en ce que dit le Shin Bet, alors qu’il y a peu de raisons de le faire.

Aujourd’hui, il n’y a pas grand-chose qui sépare les méthodes des autorités israéliennes et palestiniennes. Toutes deux sont régies par des régimes répressifs, intolérants aux idées critiques et prêts à supprimer les valeurs démocratiques en vue de contrôler le discours public

Comment un algorithme peut-il prédire le comportement futur d’une personne en fonction de quelques mots publiés sur les réseaux sociaux ? Le processus dans son ensemble empeste l’exagération et l’autosatisfaction ; quelle meilleure façon de justifier une augmentation considérable du budget ?

Certes, Israël n’est pas le seul pays du Moyen-Orient à contrôler et censurer le contenu des réseaux sociaux. L’Autorité palestinienne, qui a bien appris sa leçon d’Israël, combat vigoureusement les opinions politiques palestiniennes dissidentes. Avec l’aide de la loi sur la cybercriminalité du président Mahmoud Abbas, ses services de sécurité sont devenus aussi intolérants en matière de dissidence que leurs homologues israéliens.

Aujourd’hui, il n’y a pas grand-chose qui sépare les méthodes des autorités israéliennes et palestiniennes. Toutes deux sont régies par des régimes répressifs, intolérants aux idées critiques et prêts à supprimer les valeurs démocratiques en vue de contrôler le discours public.

Richard Silverstein

Richard Silverstein est l’auteur du blog « Tikum Olam » qui révèle les excès de la politique de sécurité nationale israélienne. Son travail a été publié dans Haaretz, le Forward, le Seattle Times et le Los Angeles Times. Il a contribué au recueil d’essais dédié à la guerre du Liban de 2006, A Time to speak out (Verso), et est l’auteur d’un autre essai dans une collection à venir, Israel and Palestine: Alternate Perspectives on Statehood (Rowman & Littlefield).

Photo : logo du réseau social Facebook sur l’écran cassé d’un téléphone portable, à Paris le 16 mai 2018 (AFP).

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