Israël a voulu empêcher une diffusion d'Envoyé spécial
L'ambassadrice d'Israël à Paris a demandé à France Télévisions d'annuler la diffusion d'un reportage sur la bande de Gaza, trop "négatif" pour l'État hébreu.
La démarche serait "inédite". L'ambassadrice d'Israël a Paris, Aliza Bin Noun, a écrit mercredi une lettre à la présidente de France Télévisions, Delphine Ernotte, afin de réclamer l'annulation de la diffusion d'un reportage d'Envoyé spécial, finalement diffusé comme prévu le lendemain.
Le reportage en question, "Gaza : une jeunesse estropiée" a été réalisé auprès de jeunes habitants de la bande de Gaza, mineurs pour la plupart, blessés et amputés des suites de tirs à balles réelles de l'armée israélienne lors des manifestations de la "marche du retour" entre les mois de mars et mai.
Dans son courrier, l'ambassadrice s'inquiète des "répercutions dommageables et dangereuses" de ce reportage sur la communauté juive de France. Selon elle, le document d'Envoyé spécial présente un "point de vue déséquilibré" et "met [...] Israël en avant d'une façon très négative". Le reportage est "susceptible d'inciter à la haine à l'encontre d'Israël et peut ainsi avoir des répercussions directes, notamment physiques, sur les Français de confession juive", insiste encore la diplomate, qui demande un droit de réponse à l'issue de la diffusion. France télévision n'a donné suite à aucune de ses réclamations.
La démarche a de quoi surprendre. D'autant plus que, comme l'a confirmé au Monde le porte-parole de l'ambassade Shimon Mercer-Woods, ni l'ambassadrice ni ses collaborateurs n'ont visionné l'intégralité du reportage avant sa diffusion.
Celui-ci filme des familles gazaouies, et de nombreux jeunes, venus protester contre Israël dans le cadre de la "Marche du retour" en 2018. La majorité n'est pas armée, mais certains viennent avec des outils pour couper les barbelés qui encerclent la bande de Gaza, des lance-pierres ou des cerfs-volants enflammés. Le reportage témoigne de ce que de nombreux médias ont déjà relayé au printemps : l'armée israélienne tirant systématiquement à balles réelles sur les manifestants, dont certains étaient non-armés et se trouvaient à plusieurs centaines de mètres de la frontière.
La parole laissée à l'armée israélienne en fin de reportage ne constitue pas, pour l'ambassade d'Israël à Paris, un contre-poids suffisant à ce reportage jugé à charges. Shimon Mercer-Wood, interrogé par Télérama, a accusé Envoyé spécial de "diffamation" pour avoir "caché qu'il y avait aussi des Palestiniens armés qui venaient pour tuer des Israéliens". Il a, en revanche, refusé de commenter les images des manifestants blessés.
Plus de 140 Palestiniens sont morts touché par les tirs israéliens et plus de 4 500 autres ont été blessées depuis le début de la "Marche du retour". Côté israélien, un soldat a perdu la vie.
D'autres personnalités ont également vivement critiqué le reportage d'Envoyé spécial. Francis Kalifat, président du Conseil représentatif des institutions juives de France (Crif), a notamment dénoncé un message de "haine" envers Israël.
La Société des journalistes de la chaîne a, en revanche, tenu à saluer le reportage et sa diffusion.
La rédaction d'Envoyé spécial s'est, elle, dite peu surprise par le jugement porté par les diplomates israéliens sur le reportage. Mais Yvan Martinet, journaliste auteur du sujet, a déclaré au Monde être "consterné de voir l'ambassade d'Israël interférer dans [leur] ligne éditoriale avant même la diffusion". Il a assuré n'avoir "pas une virgule à enlever à ce reportage" et a dénoncé une "tentative d'ingérence inédite et inquiétante".
Interrogé par Télérama sur le caractère inquiétant d'une demande d'annulation de la diffusion d'une production journalistique par les représentant d'une puissance étrangère, le porte-parole de l'ambassade a refusé de qualifier la démarche de "censure". Il a également affirmé au Monde que l'ambassade n'hésiterait pas à réitérer ce type de "demande" en cas de publication de contenus "posant les mêmes problèmes".
Source : Assawra
- Créé le .